Les propos recueillis dans cet échange reflètent la reflexion des auteurs interrogés et n’engagent pas les Shifters.
Valérie GUILLARD, Prendre conscience du gaspillage, une première marche nécessaire vers la sobriété

Valérie Guillard est docteur en science de gestion et enseignante-chercheuse à l’université Paris-Dauphine dans le domaine des sciences de gestion et marketing.
Ses recherches portent sur la psychologie du consommateur, sur les pratiques des consommateurs à l’égard des objets de seconde main et sur le gaspillage. Outre sa thèse qui portait sur l’analyse des comportements de certains consommateurs à accumuler les objets, elle a contribué à l’élaboration du rapport ADEME 2020 « Penser la sobriété matérielle ».
Nous réalisons cet entretien pour aborder avec elle les problématiques de gaspillage, de sobriété et de leurs impacts dans nos sociétés.
L’équipe de SoShift a réalisé cet entretien le 7 Mars 2024
En introduction de cet entretien, pourriez-vous décrire en quelque mots vos domaines de compétences, thèmes de recherche ainsi que le cadre méthodologique que vous utilisez pour réaliser vos recherches ?
Je travaille à l’université Paris dauphine - PSL en marketing sur la pratique des consommateurs à l’égard des objets matériels. J’ai fait ma thèse sur les gens qui gardent les objets alors qu’ils n’en ont pas l’utilité. Ensuite, j’ai exploré toutes les pratiques des consommateurs à l’égard des objets, que ce soit le don, la vente en brocante ou bien en ligne, le dépôt sur les trottoirs.
J’ai produit un ensemble de connaissances sur les usages que nous avons de nos objets, de ce qu’ils révèlent de nous et de la société.
En termes méthodologiques, j’ai commencé par des méthodologies quantitatives avec construction d’indicateurs, échelles de mesures, etc. J’ai introduit ensuite des méthodes qualitatives. Cela signifie des entretiens longs, majoritairement à domicile, parce que dès qu’il s’agit des objets, même si les gens veulent être honnêtes, la mémoire fait défaut. Les enquêtes à domicile permettent d’identifier des pratiques qui apparaîtraient difficilement autrement (méthodes de rangement, conscientisation ou non du gaspillage, verbalisation etc). La méthode quantitative ou qualificative dépend principalement de la question que je souhaite adresser. Pour analyser les données, je mobilise des cadres d’analyse issus de la psychologie et dans une moindre mesure de la sociologie.
Mon champ d’études se focalise donc sur la compréhension des comportements des consommateurs vis-à-vis des objets. Mes derniers travaux portent sur l’articulation entre sobriété matérielle et justice sociale. Depuis novembre 2023, j’ai créé une initiative de recherche en collaboration avec l’ADEME et l’Agence du Don en Nature sur le sujet.1,2
Un de mes derniers articles concerne l’impact de la sphère sociale3 sur les pratiques de sobriété. Cette problématique a émergé lors d’une étude menée en collaboration avec «Zero waste France» sur le défi « Rien de neuf »3,4. Sur la base du volontariat, des gens s’inscrivaient au défi pour réduire leur consommation d’objets neufs. Lors des entretiens, il est apparu que réduire sa consommation d’objets neufs, voire sa consommation d’objets tout court était rendue difficile par la pression qu’exerçait la sphère sociale (conjoint, enfants, beaux-parents, parents, etc.).
Après une revue de la littérature sur le sujet, je me suis intéressée à la théorie de Goffman3. Ce cadre théorique m’a permis de mettre en lumière les différentes stratégies interpersonnelles pour composer avec la sphère sociale lorsqu’une personne se lance dans une démarche de sobriété :
- Ceux qui « mentent délibérément » en camouflant des objets achetés en seconde main en objet neuf.
- Ceux qui « font les caméléons », leur stratégie dépend de leur interlocuteur. Face à un collègue ils peuvent afficher ouvertement leur démarche mais ne pas oser l’assumer face à un beau-parent. Ils peuvent alors se situer temporairement dans le jeu de la société de consommation.
- Ceux qui « assument complètement » et qui disent ouvertement ne pas vouloir d’objets neufs pour eux ou leurs enfants.
Certaines personnes qui adoptent la stratégie « d’assumer complètement » peuvent également être dans une démarche qui vise à transmettre leurs valeurs à leurs enfants mais ce n’est pas systématique. Globalement, quelle que soit la stratégie, les personnes indiquent souvent ne pas vouloir faire supporter à leurs enfants les contraintes de la sphère sociale. Néanmoins, les personnes qui sont dans une démarche assez poussée de sobriété essaient toujours de trouver une manière d’expliquer leur démarche. A l’image de cette personne qui lors des anniversaires de son enfant soit elle accompagnait d’un petit mot le cadeau ou alors elle accompagnait en personne son enfant pour expliquer le cadeau apporté.
Savez-vous quelle est la proportion de la population pour chacune des stratégies ? Et faites-vous un lien entre les personnes qui assument leur démarche de sobriété et l’investissement dans le domaine public ?
Pour l’instant, je ne connais pas d’étude quantitative réalisée sur la proportion dans chaque catégorie. Sans chiffre à l’appui il semble néanmoins que la stratégie du mensonge est peut-être la moins adoptée car la plus risquée. Tout simplement parce que le mensonge peut être dévoilé (ex : le jeu acheté d’occasion est incomplet) ce qui, finalement, mettrait alors à mal la relation avec autrui.
Les personnes qui assument leur démarche ne sont pas nécessairement des militants appartenant à des groupes à visée politique. En revanche, elles se sentent suffisamment fortes pour défendre leurs valeurs car leur engagement est fort, que ce soit pour elles ou pour des motifs plus politiques comme l’écologie. Par ailleurs, ce sont des personnes informées qui assistent à des conférences, écoutent des débats etc. Elles savent donc qu’elles ne sont pas seules dans leur démarche et que celle-ci a du sens. Il s’agit donc de démarches certes politiques mais pas nécessairement militantes.
En quoi la lutte contre le gaspillage est un levier vers la sobriété ?
En économie, le gaspillage se définit comme une perte d’utilité5. La sobriété6 consiste à réduire sa consommation. Réduire la perte de l’utilité d’un objet peut donc également s’inscrire dans la sobriété. En gaspillant moins, je garde mes objets (ex : un pull) plus longtemps ce qui évite peut-être d’en acheter des nouveaux.
Mais effectivement lutter contre le gaspillage ne signifie pas pour autant être sobre. Par exemple, je peux faire attention à donner une deuxième vie à un objet (ex : un pull) en le revendant mais ne pas être dans la sobriété parce que derrière je vais acheter un autre objet qui répond au même besoin (un autre pull) dont l’achat aura généré de la pollution supplémentaire (numérique, colis, transport etc…)
Ne pas gaspiller signifie changer notre relation aux objets. Pensez-vous qu’il y a toujours une étape préliminaire de non-gaspillage pour ensuite aller vers la sobriété ?
Il est rare que les personnes aillent tout de suite dans la sobriété, simplement parce que nous vivons dans une société de surconsommation. En outre, du fait de la communication importante des médias autour du gaspillage notamment alimentaire, démarrer par une réduction du gaspillage pour aller vers une démarche de sobriété est plus naturel, et ce même si le gaspillage des objets est un sujet qui est encore trop peu évoqué.
Par ailleurs, la notion de gaspillage est connotée moralement en ce sens que personne n’oserait dire qu’elle est satisfaite de gaspiller, et ce indépendamment des enjeux environnementaux. Le mot gaspillage et l’imaginaire associé permet, il me semble, une amorce de prise de conscience et une volonté, parfois, de mieux faire.
Nous sommes tous entourés d’objets et nous n’avons pas toujours conscience de leur gaspillage. Existe-t-il des moyens pour amener les gens à prendre conscience de leur comportement ?
Pour moi, les outils sont la sensibilisation et l’éducation, avec une approche adaptée au public visé. Il n’est pas possible de communiquer de la même manière avec des adolescents de 15 ans, des jeunes actifs ou des personnes de 40 ans ou plus. Des démarches éducatives de mise en situation, à l’image de ce qui se fait autour de la nature (jardins, visite de fermes etc.) en école primaire, sont nécessaires autour de la consommation et la surconsommation. Il existe bien des cours de développement durable mais cela reste très abstrait. Je n’ai pas connaissance de formations ou de programme éducatif concret autour de nos pratiques de consommation.
Dans le cadre de vos études, que ce soit à travers les interviews ou les questionnaires, avez-vous pu observer comment l’envie de changer son comportement apparait ?
Il s’agit d’un processus de maturation ; les raisons sont nombreuses pour s’engager dans un changement dans ses relations aux objets. En revanche, dans le défi « Rien de neuf »3,4 j’ai pu rencontrer de nombreuses personnes, toutes catégories sociales confondues, et des situations personnelles assez diverses (femme au foyer, personne en burnout, en difficultés financières etc..). Mais leur point commun était de dire qu’il leur était impossible de continuer comme ça.
Quelle que soit la raison du changement, il semble néanmoins que celui-ci intervient souvent après une phase d’arrêt (arrivée d’un enfant, burnout, etc…)7. Cela leur permet de prendre du recul sur leur façon de vivre, et de questionner leurs besoins réels.
D’un côté, nous avons l’écologie avec la prise de conscience que nous sommes en train de dégrader notre environnement avec tous ces déchets produits. D’autre part, après une phase d’introspection, se pose la question « et finalement, tous ces objets, est-ce vraiment de cela dont j’ai besoin » ?
Exactement. Nous pouvons toujours communiquer sur l’impact de nos comportements vis-à-vis de notre environnement sur les ours polaires, mais cela reste très éloigné de nous. Les canicules, les incendies, la sécheresse sont des évènements déjà plus concrets, que l’on peut ressentir dans notre chair qui peuvent nous faire prendre conscience de ce qui se passe, mais cela reste insuffisant.
Au final, caractériser le moment de bascule vers la prise de conscience puis l’action est extrêmement compliquée car c’est idiosyncratique, c’est-à-dire propre à chacun. J’ai en tête le cas d’une personne qui, depuis qu’elle était toute petite, allait au ski tous les ans. Et là cette année, en constatant l’absence de neige en plein mois de février, elle a pris conscience de l’impact du réchauffement climatique et a décidé de ne plus y aller, le choc fut trop violent.
Dans cette prise de conscience, les mécanismes de mimétisme entre personnes entrent-t-ils en jeu ?
Effectivement, il ne faut pas négliger la force du collectif. Typiquement, sur le défi « Rien de neuf »3,4, les personnes s’échangeaient leur astuces (par exemple un magasin faisant du vrac etc.), Malgré tout, certaines personnes ne s’engagent pas dans des collectifs. Le sentiment d’ambivalence à l’égard de ces derniers reste présent. À un niveau plus local, le collectif fonctionne mieux. Il est vrai qu’au sein d’un collectif, nous pouvons avoir accès à plus d’informations, être encouragés etc. Néanmoins, pour ceux qui ne souhaitent pas s’engager dans une démarche collective, il est toujours possible d’observer leurs pratiques et de s’en inspirer.
Dans notre société, ne vivons-nous pas avec l’idée que la consommation, voir même hyper consommation est nécessaire au bon fonctionnement de la société et de l’économie ? Les personnes interviewées ressentent-elles cette contradiction entre « nécessité » de consommation et besoin de sobriété ?
La communication autour de la sobriété notamment par les institutions autour du risque de la perte d’emplois génère nécessairement de l’angoisse. Le shift project [12] a réalisé des estimations sur les pertes d’emploi dans certains secteurs et l’augmentation dans d’autres secteurs. Mais il est vrai que les résultats dépendent énormément des modèles et des hypothèses retenues.
A priori, en produisant et en consommant local de nombreux emplois pourraient être créés mais ces messages-là sont très peu véhiculés. D’autres études seraient nécessaires pour réduire la désinformation et casser l’imaginaire selon lequel sobriété signifie chômage de masse.
Cela rejoint ce que nous avons pu observer sur la dernière campagne de l’ADEME qui a été reçue de manière assez négative11 parce qu’elle poussait à la déconsommation. Au final le message a été transformé en « nous pouvons consommer mais avec des entreprises locales plutôt qu’avec des entreprises du net »
Je n’ai pas travaillé sur cette communication mais je trouve extrêmement courageux cette campagne de publicité de l’ADEME. Mais le problème de celle-ci, et de la publicité en général, est de généraliser. L’objectif n’est pas, bien sûr, d’être « dé-vendeurs » dans les produits bio, les produits locaux ou plus généralement sur les choses qui sont produites avec qualité, avec des gens dignement payés, etc. En revanche, sur les produits non nécessaires, ceux de mauvaise qualité, avec un impact social négatif ou très mauvais pour l’environnement, effectivement l’objectif est de « dé-vendre ». C’était, je crois, le message à recevoir. Mais comme cela dérangeait, celui-ci a été pris au premier degré.
Vous indiquiez avoir interviewé des personnes de classes sociales diverses. Avez-vous constaté un lien entre engagement de sobriété et classe sociale ? Une personne à faible revenu peut-elle vraiment avoir une démarche de sobriété ?
A dire vrai je commence maintenant des recherches sur ces thèmes de justice sociale1,2.
Tout d’abord, il est inexact de croire que les milieux plus défavorisés ne se sentent pas concernés par l’écologie. Ensuite, une chose que j’ai pu observer est que, globalement, ne pas gaspiller est une valeur qui se transmet dans les familles. C’est donc très lié à l’éducation. Ceux qui ne gaspillent pas sont ceux qui ont été élevés dans des familles qui ne gaspillaient pas. Ainsi, vous pouvez trouver des familles avec un patrimoine très important mais qui, du fait de leur éducation, évitent à tout prix le gaspillage et des familles avec des revenus bien moins importants qui surconsomment des produits peu chers, et qui les jettent.
Mais en effet, donner accès à des produits de meilleure qualité pour les plus défavorisés est une vraie question. Dans le passé, celle-ci s’est posée pour l’alimentaire et aujourd’hui elle se pose pour les vêtements. Les classes populaires, parfois, ont accès à ces produits de bonne qualité si elles acceptent d’acheter d’occasion dans les vides greniers. Ce sont des dispositifs parfois permanents. Ils sont mis souvent d’ailleurs en place par les communes sur leur territoire car ils nécessitent la mise à disposition de locaux. Par ailleurs, ils peuvent être des lieux de socialisation. Avec de tels dispositifs, il est possible de permettre aux classes populaires d’acheter des produits de bonne qualité à un coût acceptable.
En se plaçant dans la perspective où les plus riches auraient une vraie démarche de sobriété, cela ne mettrait-il pas à mal ce principe de donner la possibilité aux moins favorisés d’avoir accès à des objets de seconde main de bonne qualité ?
Je ne crois pas. Sans vouloir généraliser et y compris dans les classes supérieures les gens revendent plus qu’ils ne donnent aujourd’hui. Les dons acheminés vers les associations arrivent par d’autres canaux8. Bien sûr il existe des personnes qui donnent des objets de qualité mais Il existe tout de même un vrai problème autour du don et de la solidarité. Parfois, ce sont des objets qui n’ont pas trouvé preneur au prix souhaité qui sont ensuite donnés aux associations.
Est-ce que la prise de conscience et le changement de comportement vers la sobriété reste une démarche très personnelle ou engendre-t-elle par ailleurs une prise de conscience que plus de solidarité est également nécessaire ?
De ce que j’ai pu constater, la démarche reste très personnelle. En ruralité ou dans des réseaux de forte proximité (dans une rue, un réseau de mamans etc.) où le rapport à l’autre est différent il y a parfois des échanges d’objets. Mais globalement, j’ai très peu entendu le discours « Je donne par solidarité ». Et dans une démarche d’anti-gaspillage, les personnes gardent tout simplement parce qu’elles considèrent que cela serait ridicule d’en acheter un nouveau.
Si une personne utilise quelque chose jusqu’à considérer qu’elle n’est plus utilisable ; n’est-il pas plus difficilement concevable de le donner ensuite ? Parce qu’elle souhaite tout de même donner quelque chose de présentable, d’une certaine qualité ?
L’idée « si ce n’est plus bon pour moi alors ce n’est plus bon pour les autres » n’est pas si bien respectée que cela. Qui n’a pas entendu quelqu’un dire « ils ont rien et pourtant ils refusent ce que je leur donne » et ce même si ce qui est donné est moche, trop usé etc. J’ai très peu vu lors de mes recherches des personnes qui ne donnaient pas parce qu’elles avaient usées leurs vêtements, leurs chaussures jusqu’au bout par exemple. Toutes nos armoires débordent et tout un chacun pourrait se dire que tant qu’à être lassé d’un vêtement de bonne qualité et joli pourquoi ne pas en faire don ? Ou plutôt que de vendre pour 20 euros un objet ne serait-il pas préférable d’en faire bénéficier une association qui vit du don. Je ne parle évidemment pas d’étudiants ou de personnes des classes moyennes mais pour les classes les plus aisées, acheter d’une part des vêtements de qualité et d’autre part se poser la question de la solidarité c’est une démarche que nous pouvons tous faire.
Ceux qui sont vraiment dans une démarche de sobriété vont effectivement l’utiliser jusqu’au bout, vont le réparer et ne pas le remplacer facilement. Mais ces personnes, en général elles achètent peu, uniquement quand elles ont besoin. La problématique de ces personnes-là concerne plutôt la présentation sociale est-ce que ce vêtement est encore suffisamment bien pour aller au travail, est-ce que je le donne, est-ce que je peux encore l’utiliser quand je suis chez moi etc. Les personnes qui se posent ces questions restent tout de même très minoritaires9. Actuellement, il y a beaucoup plus de gens qui accumulent énormément de vêtements ou de chaussures ou autres objets divers d’ailleurs10.
Parmi les personnes qui souhaitent réparer, indiquent-elles des difficultés à le faire soit pour des questions de coûts ou bien parce qu’il n’existe pas de lieux pour faire réparer les objets ?
Des lieux de réparation, type Repair café, existent mais ils sont peu nombreux. Pour ceux qui sont investis dans la démarche, ceux-ci répondent à une vraie demande. Surtout qu’aller dans ces lieux est un moment de plaisir, ludique, parfois en famille. Mais effectivement, faire réparer d’une part n’est pas toujours possible, parfois un peu plus coûteux que d’aller acheter un produit équivalent en magasin et demande un investissement en temps plus important.
Beaucoup de personnes préféreraient réparer notamment les appareils électroménagers plutôt que d’en changer. Contrairement à ce que nous pouvons croire, chez beaucoup de personnes, jeter quelque chose ne se fait pas de gaieté de cœur. Mais le coût d’intervention pour analyser le problème sans garantie de résultat, les coûts de réparation qui peuvent suivre, les délais pour retrouver un équipement fonctionnel etc conduisent beaucoup de personnes à racheter plutôt que de réparer.
Vous avez indiqué précédemment qu’actuellement vous vous intéressiez au sujet du gaspillage et de la sobriété en lien avec la justice sociale, pourriez-vous nous expliquer le cheminement intellectuel qui vous a amené à travailler sur ce sujet ?
J’ai toujours été choquée que la sobriété soit un sujet abordé par le prisme des riches, du moins classes supérieures. Or je suis convaincue que le sujet concerne tout le monde. Par ailleurs, si nous devons considérer la sobriété comme un des leviers pour réduire les effets du dérèglement climatique, nous sommes tous concernés et il n’est pas concevable d’écarter toute une partie de la population.
La question qui m’intéresse est de savoir : avons-nous tous les mêmes possibilités, la même liberté de nous lancer dans une démarche de sobriété ? Je pense que le sujet est plus large qu’une simple question de précarité. Une personne peut avoir les moyens, mais ne pas avoir reçu l’éducation suffisante, ne pas savoir comment se lancer dans une telle démarche etc.
J’ai conduit des entretiens en ruralité. J’ai pu constater qu’il est extrêmement compliqué d’avoir une démarche de sobriété sur la mobilité bien sûr mais également par rapport aux objets. Il existe donc des différences en raison des lieux de vie, du niveau d’éducation, des revenus. Et dans une certaine mesure le genre, car ces démarches sont souvent amorcées par des femmes avec la charge mentale que cela génère.
Tous ces aspects sont étroitement liés à la notion de justice sociale. Il m’est donc apparu qu’il était à la fois intéressant et nécessaire de questionner ces sujets. Des actions de recherches sont effectivement en cours sur différentes catégories de population dans le but d’identifier et de comprendre les obstacles à la sobriété matérielle1,2.
Pour aller plus loin
1 Vidéo 14/11/2023, Agence du Don en Nature, ADEME, Vidéo de lancement de l’initiative de recherche « Sobriété matérielle & Justice sociale », ADEME
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2 Article internet 14/11/2023, Agence du Don en Nature, Lancement de l’initiative de recherche: « Sobriété matérielle & Justice sociale », Agence du Don en Nature
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3 Article de revue 01/03/2023, Valérie Guillard, Comment déconsommer et faire face à sa sphère sociale – Une analyse du défi « Rien de neuf » par la théorie de Goffman – Revue française de gestion, vol 2023/3, no.310, pp. 39-61, JLE Editions
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4 Broché oct.-19, Valérie Guillard, Du gaspillage à la sobriété – Avoir moins et vivre mieux? – Chapitre 13 Devenir sobre en participant au(x) défi(s) « Rien de neuf » de Zéro Waste France : analyse des profils, motivations et vécus, DeBoek
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5 Broché oct.-19, Valérie Guillard, Du gaspillage à la sobriété – Avoir moins et vivre mieux? – Chapitre 1 – Le Gaspillage des objets dans la littérature académique, DeBoek
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6 Broché oct.-19, Valérie Guillard, Du gaspillage à la sobriété – Avoir moins et vivre mieux? – Chapitre 11 – Qu’est-ce que la sobriété matérielle ? Une première définition, DeBoek
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7 Rapport 2019, Valérie Guillard, Nathan Ben Kemoun, Penser la sobriété, ADEME
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8 Broché oct.-19, Valérie Guillard, Du gaspillage à la sobriété – Avoir moins et vivre mieux? – Chapitre 10 – Objets invendus par les entreprises : un outil d’action sociale L’Agence du Don en nature, DeBoek
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9 Broché oct.-19, Valérie Guillard, Du gaspillage à la sobriété – Avoir moins et vivre mieux? – Chapitre 14 – La sobriété, une ambition encore lointaine ? un bilan des pratiques de circulation des objets, DeBoek
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10 Livre avr.-13, Valérie Guillard, Garder à tout prix : Décryptage d’une tendance qui fait tendance, Vuilbert
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11 Article 23/11/2023, Le Monde avec AFP, Avant le Black Friday, le gouvernement admet une « maladresse » avec ses publicités pour la déconsommation mais « aucun des spots ne sera retiré », Le Monde
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12 Rapport déc.-21, L’équipe Emploi du PTEF, The Shift Project, L’emploi moteur de la transformation bas carbone – Dans le cadre du plan de transformation de l’économie française, The Shift Project
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